J’aurais imaginé que cela finirait autrement, qu’à nouveau la chance nous sourirait. Que chaque homme libre d’Antigua et d’ailleurs pourrait proclamer fièrement avoir fait trembler les nations une seconde fois. Mais cette époque est révolue.
Nous avons combattu vaillamment, mais cette fois, nous avons échoués. Une douleur forte et saisissante s’empare de mon corps, tandis que mon âme navigue déjà entre les deux mondes. Derrière-moi, le dernier navire en partance contenant nos enfants se prépare à quitter cette terre d’asile, symbole de liberté pour des milliers d’hommes, si ce n’est plus.
A ma gauche, Etienne d’Argençon. Il m’a appris qu’un homme n’est jamais jugé que par ses actes, qu’au moment de sa mort il ne serait plus connu pour ce qu’il était, mais pour ce qu’il a accompli. Ah ! Quand j’imagine l’épisode où nous avions coulé sa frégate, toutes les fois où je me suis moqué de son œil manquant alors qu’il n’était qu’un matelot sur le navire, et sa tête déconfite alors que je lui demandais la main de sa fille, je ne peux me retenir de sourire malgré moi.
A sa gauche, d’anciens marins du Liberté et du Black Merle, restés à Antigua pour nous aider à réaliser notre utopie. Trésors, beuveries et vols improbables en tous genres, il ne se passait pas un mois sans que nous n’arrivions à trouver une nouvelle aventure.
A ma droite, fière et rebelle, Victoire Miller, mon aimée. A notre première rencontre, elle n’était qu’une excuse pour nuire à mon beau-père, comme une ultime boutade avant un duel d’escrime - qui aurait signé mon trépas prématuré, à n’en pas douter. Aujourd’hui, je ne saurais imaginer la vie sans elle. Elle qui m’a tant de fois tenu tête, m’a appris à masquer les étrangetés qui font ma personnalité, m’a donné tout ce qu’aucune n’avait jusqu’alors osé m’offrir. Il n’y a pas de mots pour décrire ce qu’elle est, car aucun d’entre eux n’est assez parfait. Mes lèvres bougent faiblement alors que je la regarde en souriant, quelques derniers soupirs énonçant les deux mots qui régulièrement croisent la vie d’un mari et de sa femme. Mes yeux se ferment, et l'obscurité s’installe.
Mon Capitaine, je n’ai pas échoué. Notre quête est peut-être terminée, votre bateau coulé, Antigua tombée, mais notre héritage n’est pas mort. Ce que nous avons débuté, d’autres l’achèveront. Je mise vos espoirs et les miens dans le cœur des enfants de tous les hommes libres morts au nom de ce que vous avez chéri durant toute votre existence : la liberté.
Oui, cette époque est révolue. Elle marque la fin de notre histoire, et le début de celle de ceux qui poursuivront notre oeuvre.